IMPROVISEIMaginaires des PROfondeurs et extractiVISmE
Du 1 sept. 2022 au 31 août 2024
Equipe :
- Responsable du projet : Julien MATTERN
- Chercheur : Lionel DUPUY
Projet :
Ce projet de recherche est consacré aux imaginaires des profondeurs. Il vise notamment à préciser les contours et la genèse de l’imaginaire extractiviste et à le mettre en perspective sur la longue durée, depuis la Préhistoire jusqu’à sa remise en cause à l’époque contemporaine. Il se veut résolument interdisciplinaire, puisqu’il concerne à la fois l’histoire, la sociologie, la géographie, l’économie, le droit, mais aussi la géologie, la chimie et les sciences de l’ingénieur.
L’objectif du projet est triple :
- il s’agira d’abord de clarifier la manière dont a été construit l’horizon symbolique d’une mise à disposition générale des profondeurs de la Terre, en étudiant les interactions entre, d’une part, le développement des pratiques modernes d’exploration et d’exploitation minière à partir du XVIIIe siècle, et d’autre part la rationalisation des conceptions relatives aux sous- sols dans des domaines spécifiques comme la géologie, la chimie, le droit ou l’économie.
- En outre, nous faisons l’hypothèse que les mines ont constitué un catalyseur dans la genèse d’un rapport au monde utilitaire et mécaniciste. C’est là que l’extractivisme s’est affirmé, perfectionné et équipé, se distinguant radicalement de toutes les autres manières d’appréhender les profondeurs, avant que certains de ses motifs ne s’appliquent bien au-delà : de l’élevage industriel – où l’on parle aussi de « minerais » pour désigner les animaux – à l’exploitation des profondeurs du social grâce au « data mining ». En explorant l’histoire de l’agriculture, de l’archéologie, de la psychologie, ou encore de l’informatique, nous verrons si certaines métaphores récurrentes empruntées à l’extraction minière trahissent, au-delà de l’anecdote, une proximité épistémique voire une vraie filiation dans la réduction du réel au statut de ressources exploitables sans mesure ni contrepartie.
- Nous cherchons enfin à voir si de nouveaux imaginaires émergent actuellement dans notre rapport aux sous-sols, et quelles en sont les répercussions concrètes. De Jean-Jacques Rousseau à René Guénon ou F.-G. Jünger, les critiques de l’imaginaire extractiviste sont nombreuses et s’ancrent dans toutes sortes de traditions philosophiques et politiques. Aujourd’hui, bien des mouvements indigènes de contestation de projets miniers s’appuient explicitement sur la sacralité des sous-sols9. Parmi les élites politiques, techniques et intellectuelles elles-mêmes, se diffusent des références récurrentes à Gaïa, et à la nécessité de ne pas réduire les sous-sols à une simple réserve de matériaux, d’énergie ou de déchets pour l’activité humaine. Mais qu’en est-il au sein de l’industrie minière proprement dite (depuis la prospection jusqu’à la gestion des déchets, en passant par l’exploitation) ? N’y voit-on pas à l’inverse les signes d’une radicalisation de l’extractivisme, à travers des projets d’exploitation minière en eau profonde, ou sur des astéroïdes par exemple11 ? Le géologue minier Michel Jebrak se demande ainsi s’il faut « retourner aux spiritualités anté-axiales des mondes anciens [comme la cosmogonie inca], ou conquérir de nouveaux mondes pour satisfaire une humanité toujours plus gourmande ». Dans ce contexte, comment interpréter les récentes prises de position critiques de jeunes diplômés de grandes écoles (Centrale, Polytechnique, AgroParisTech) ? Correspondent-elles à des transformations profondes de l’enseignement, voire à un basculement des imaginaires au sein des jeunes générations d’ingénieurs ? Celui-ci peut-il se traduire concrètement autrement que par des défections : dans la diffusion de nouvelles normes, de nouvelles formes de sensibilité, d’autres rapports aux technologies ? Pour le savoir, il importe de ne pas s’en tenir aux discours, mais d’étudier en même temps leurs éventuelles traduction concrètes sur les plans juridique, règlementaire et technique. C’est en cela que le projet pourrait contribuer à penser les transformations à l’œuvre sous le nom de « transition écologique ».
Commanditaire :
InSHS - Institut des Sciences Humaines et Sociales (SEPIA - Soutien à l'Emergence de Projets InterdisciplinAires)
Durée :
24 mois